Le harcèlement scolaire du point de vue de celui qui agresse

Force est de constater que l’éducation nationale a, depuis quelques années, pris la mesure du harcèlement scolaire. Là où la mission de l’école est d’éduquer l’adulte en devenir en lui apprenant le vivre ensemble, ce sont plus de 700 000 élèves qui sont aujourd’hui encore victimes de ce phénomène en France. Dont la moitié de façon sévère. Si l’on comprend bien pourquoi l’attention médiatique se porte sur le sort des victimes, il est pour le moins étonnant que dans le document officiel intitulé « protocole de traitement des situations de harcèlement dans les écoles » , le sort des élèves agresseurs reste le parent pauvre du programme. Tout juste est-il fait mention des sanctions possibles, dans un style très administratif. Pourtant il est urgent de tenter de comprendre pourquoi certains de nos élèves – donc des futurs citoyens - en sont réduits à faire souffrir leurs pairs pour exister. Car si le harcèlement scolaire entraîne des conséquences graves pour les victimes, il conditionne aussi l’avenir des harceleurs.

C’est le geste inaugural de la réflexion que nous vous proposons : c’est en partant du point de vue de l’élève qui agresse que nous arriverons à enrayer cette machine infernale qu’est le harcèlement scolaire. Pour cela, nous avons besoin de prendre de la hauteur en nous démarquant du manichéisme ambiant. Mettre dos à dos d’un côté les « pervers narcissiques en culotte courte » et de l’autre « nos pauvres enfants qui chaque jour s’offrent à la vue de leurs bourreaux » me semble contre-productif. C’est tout le schéma de relation qu’il nous faut mieux cerner.

Quels sont les mécanismes qui président au harcèlement scolaire ? De quels types d’adolescents s’agit–il ? Comment réagir en tant que parent et que faire pour agir en amont ?

Plongée au cœur d’un phénomène qui éclaire non seulement sur le phénomène adolescent mais qui est aussi miroir de notre société.

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Définition du harcèlement scolaire

Pour que l’on puisse conclure à un harcèlement scolaire, il faut nécessairement que les violences soient:

  • Volontaires : leurs résultats impliquent une volonté réelle de nuire.
  • Récurrentes : elles durent et se répètent dans le temps.

Notons d’emblée que ces violences sont multiformes :

- Physiques : (coups, violences sexuelles etc.) Précisons que l’intention et la récurrence sont la signature principale du harcèlement. Par exemple, un élève qui a à subir de la part d’un groupe d’élève une petite tape derrière la tête à chaque entrée en classe peut être considéré en situation de harcèlement, même si la violence physique des coups est faible.

- Matérielles : (lunettes cassés, vêtements déchirés etc.)

- Psychologiques : Dans ce cas les violences sont soient directes (insultes, intimidations) soient insidieuses (chantage, mise à l’écart du groupe). J’insiste sur le fait que les violences insidieuses sont souvent les plus dévastatrices sur le plan psychologique. Je pense ici au traditionnel « tu n’es plus ma copine » en école primaire qui se meut en « tu n’es pas invité à ma fête parce que personne ne t’aime » au collège pour finir en « je ne veux pas sortir avec toi parce que tu es moche » au lycée.
- Le cyberharcèlement : Chacun comprend que des photos compromettantes ou des insultes anonymes publiées sur un groupe WhatsApp intitulé « classe 6ème B Claude Monnet » font parti du harcèlement scolaire même si tout cela se passe hors de l’enceinte physique de l’école.

Enfants harceleurs: Quels sont leurs profils ?

Je reprendrai ici la typologie établie par ma collègue psychologue Hélène Romano.
Hélène Romano repère trois types de profils:

• Les suiveurs : Ils ne sont pas à l'initiative du harcèlement. Ils suivent le groupe sans trop savoir pourquoi, parfois précisément par peur d’être harcelés à leur tour.

• Les meneurs : Ils sont à l’origine active du harcèlement. Sans eux pas de harcèlement. J’insiste sur le fait que dans certains cas, l’élève qui porte des coups sur un autre n’est pas le véritable responsable dans la chaîne des responsabilités. Dans le registre de la manipulation, il n’est pas rare qu’un élève A exerce des pressions psychologiques sur un élève B pour qu'il porte des coups à l'élève C. On comprend que si c’est B qui tape, A reste bien le leader actif.

• Les enfants qui répètent des traumatismes. Ils ont été eux-mêmes harcelés et répètent un schéma sans le comprendre.

Enfants harceleurs : A quelles conséquences peut–on s’attendre ?

Le harcèlement scolaire laisse des traces profondes sur les victimes, comme sur les auteurs. Des études sur le long terme montrent par exemple une corrélation entre harcèlement scolaire et augmentation des conduites à risques (consommation de stupéfiants, vie sexuelle débridée etc.). C’est probablement dans la dynamique du lien à l’autre que les conséquences seront les plus fortes (difficultés à développer des relations de couple et de parentalité positives).
Les conséquences au long court dépendent également des profils de harcèlement exposés ci-dessus :

Les suiveurs : C’est la tendance à la culpabilité et à la dépression que l’on observera. Une mauvaise estime de soi peut s’installer ce qui entraînera une difficulté à faire des choix et à être heureux dans la vie.
Les meneurs : Une fois devenus adultes, ils auront tendance à présenter plus souvent que d’autres une impulsivité physique majeure et une intolérance à la frustration (violence conjugale, éducation des enfants à base de claques et fessées etc.). Dans les cas les plus sévères, c’est une structure psychique perverse qui peut s’installer. La difficulté majeure étant, rappelons-le, qu’ils disent aller bien et ne ressentent pas le besoin de recevoir de l’aide.
Les enfants qui répètent des traumatismes. C’est en devenant à leurs tours auteurs d’agressions qu’ils prennent conscience qu’ils ont d’abord été victimes. Le risque se situe alors plutôt du côté des idées suicidaires ; dans une impossibilité de sortie du schéma bourreau/victime.

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Enfants harceleurs : Pourquoi un tel comportement ?

Lors des interventions dans les écoles ou dans le secret du cabinet, nous remarquons que les raisons qui poussent les élèves à être dans une problématique de harcèlement dépendent justement de cette typologie.

Les harceleurs suiveurs : Ces enfants se fondent dans la masse-classe sans statut particulier. Leur estime d’eux-mêmes est dépendante du regard des autres sur eux. Elle est donc très instable. Ils vont harceler pour prouver leur valeur personnelle au clan car ils ont en réalité très peur d’être rejetés. Ce qui les motive, c’est l’appartenance au groupe. Ce point est essentiel: le harcèlement scolaire doit nécessairement être replacé dans le contexte des phénomènes de groupe. Or nous savons que le propre du groupe est d’induire un sentiment de toute-puissance et d’impunité. C’est le fameux « c’est injuste, c’est pas moi c’est l’autre » exprimé à loisir dans la plainte adolescente. Les harceleurs-suiveurs ne se rendent pas compte de leurs comportements. Ils ne voient pas où est le mal à rigoler avec tout le monde lorsque le groupe insulte un autre camarade.

Les leaders : Il apparaît plus difficile d’expliciter le pourquoi de leurs agissements. De fait, ils sont dans une structuration psychologique plus limite. La plupart du temps, il s’agit de bons élèves qui ont une image positive d’eux-mêmes. C’est pourquoi les parents des enfants harceleurs tombent des nues. Ils n’ont rien vu venir ce qui fait qu'au début, ils ont beaucoup de mal à croire ce que l’école peut dire sur leurs enfants chéris. Car les harceleurs-leaders sont de fait très doués pour la manipulation. Ils « passent inaperçus ». Ils sont souvent les délégués de classe. Pire, ils arrivent même à se mettre leurs professeurs dans la poche de façon à légitimer, par le comportement « bizarre » de la victime, leurs agressions : « regardez madame, c’est elle qui a un problème, elle pleure tout le temps et elle a pas d’amis ».
Le lien thérapeutique n’est pas facile à établir avec eux. Leurs images positives d’eux-mêmes cachent en réalité des failles narcissiques profondes qui découlent d’un lien insécure à l’adulte dès la petite enfance. Ils sont souvent très seuls à la maison, évoluant dans un système familial où il n’est pas rare de repérer un amour parental toujours sujet à caution: « je t’aime si tu as des bonnes notes, je t’aime si tu n’es pas faible ». C’est pourquoi les harceleurs leaders manquent souvent d’empathie et ont du mal à intégrer les règles de vie en société. Il leur faut dominer pour continuer à garder l’amour parental. Il faut contrôler la victime parce que celle-ci est vécue comme dangereuse pour eux. Il faut être violent car c’est la seule stratégie efficace de lutte contre la frustration, la colère refoulée et les mouvements dépressifs.

Les harcelés harceleurs : Ils représentent une minorité des élèves auteurs de harcèlement. Leurs conduites sont parfois inquiétantes. En consultation, ils apparaissent souvent perdus car ils ne comprennent rien de ce qui leur arrive. Ils écopent d’une double peine: ils répètent le schéma de harcèlement sans comprendre la sanction posée par les adultes car souvent celle-ci n’est pas venue lorsqu’ils étaient eux-mêmes harcelés. Les harcelés harceleurs n’ont pas de réelles motivations d’ailleurs. Ils agissent plus par réflexe, dans une logique de compulsion. Leur violence peut s’exercer sur l’un de leurs agresseurs mais le plus souvent elle s’exprime vis-à-vis des plus faibles de l’école. Ils agissent en miroir, dans une dynamique d’annulation comme l’exprime ce jeune: « si j’agresse, je ne serai plus agressé et puis c’est pas grave car la victime avant c’était moi et moi maintenant je suis fort donc quelque part je lui rends service en l’agressant ».

Harcèlement scolaire et dynamique adolescente : sois populaire sinon rien !

Ce titre pour souligner ce qui me semble être une erreur préjudiciable. A lire les différents articles sur le harcèlement scolaire, les auteurs ont tendance à en faire un phénomène analysable in abstracto. On parle alors d’adolescents en souffrance sans dire un mot sur ce qu’est un adolescent c’est-à-dire sur ce qui fait la spécificité psychopathologique de cet âge si particulier. Pourtant il m’apparaît que s’il y a bien un phénomène qui éclaire le processus adolescent c'est bien le harcèlement scolaire.
Etre adolescent c’est exercer un métier impossible. C’est faire face à une injonction paradoxale fondamentale : alors même que tout change (le corps, les centres d’intérêts etc.) il faut quand même rester le même. S’il faut «tuer le père» pour se construire, c’est fondamentalement pour s’identifier à lui et donc ressentir sa présence et son pouvoir de façon plus forte que jamais. Je me souviens d’un adolescent qui résumait cet impossible en ces termes: «j’ai toujours le même état civil et pourtant je ne me reconnais plus à travers la photo de ma carte d’identité». Prenons l’exemple de la relation aux parents: d’un côté l’adolescent entend qu’il doit devenir autonome, responsable, penser à son orientation scolaire et de l’autre les parents continuent de lui dire de ranger sa chambre ou que ce n’est pas lui qui décide par exemple. Et comment s’affranchir de la dépendance fondamentale impliquée par l’enfance sinon dans le conflit ; passage obligé de la subjectivité ? En langage plus psychanalytique l’adolescence c’est la nécessité de passer de la projection paranoïde (déni de la subjectivité qui équivaut à dire « c’est pas moi, c’est l’autre ») à l’identification à la fonction parentale (assumer sa place dans la généalogie : « Je suis Œdipe, fils de Laïos et de Jocaste, roi et reine de Thèbes »).

Ceci étant posé, il nous importe donc de voir à quelle dynamique spécifique du processus adolescent renvoie le harcèlement scolaire.

Pour répondre je commencerai par utiliser la thèse de Emmanuelle Pinguet : les adolescents sont avant tout en quête de popularité. Ecoutons cette auteure : « Il existe une vraie injonction sociétale à être populaire, et une façon de le devenir consiste à prouver son ascendance sur l’autre en lui faisant peur". Cette psychomotricienne en vient alors à proposer les deux profils de personnes populaires.

Le profil "Lady Di", il s’agit d’enfants beaux, généreux, solaires, à l’écoute des autres. Ils font l’unanimité autour d’eux et peuvent se payer le luxe d’avoir des copains dans différents groupes. Ils n’ont donc pas besoin de harceler les autres pour être populaires. Ces enfants ne représentent cependant que 2 % des élèves.

Le profil "Nelly Olsen", du nom de la chipie dans la série "La petite maison dans la prairie" : ces enfants sont populaires car ils arrivent à retourner un groupe contre une seule personne. Ces harceleurs choisissent leur proie sur la base d’une « faiblesse » (particularités physiques, enfant qui vient de se disputer avec son meilleur ami) et vont tenter de la déstabiliser. Point important : moins l’enfant harcelé se défend et plus l’harceleur continuera. D’où la thèse d'Emmanuelle Pinguet qui est de dire que la seule solution efficace pour faire cesser un harcèlement est d’apprendre à l’enfant harcelé à se défendre dans la mesure où : "la sanction d’un adulte peut même être perçue comme une vraie médaille".

Pour ma part je contribuerai à cette réflexion en isolant deux points :

  1. Le harceleur est le champion de l’ordre établi : si les adolescents remettent en cause la loi des adultes, on remarque surtout qu’ils ont une peur phobique du changement. Les victimes du harcèlement sont quasi systématiquement porteuses d’une différence (physique ou psychologique). Or être populaire c’est incarner pour les autres élèves ce qui est supposé être la norme. Et être populaire aujourd’hui se mesure « scientifiquement » à l’aide de son nombre d’« amis » sur Instagram ou Facebook. Rien de nouveau sous le soleil pourtant : hier Œdipe était chassé de Thèbes, aujourd’hui nos ados vivent l’exil à base d’exclusion de groupe Snapchat.

  2. Le harceleur est celui qui mime le mieux les adultes : lorsque je demande aux adolescents comment l’on devient populaire la réponse se situe invariablement sur le thème des conduites à risques. On est populaire à l’école parce que l’on sort avec des filles / garçons ou parce que l’on fume. Bref on est populaire si on est adulte avant l’heure. Ce qui est primé ici n’est pas la maturité psycho-affective mais la maturité du comportement. Etre gentil ou être soi-même ne compte pas. Il faut surtout ne pas être transparent, occuper l’espace médiatique. Harceler un camarade équivaudrait à un bad buzz ? Peut-être mais c’est comme faire le buzz et c’est ce qui compte pour être populaire. Avec un tel comportement on peut même être élu à la Maison Blanche…

C’est donc extrêmement important que les adultes jouent leurs rôles. Si les adultes ont un comportement adolescent et les adolescents un comportement d’adulte, on comprend bien le problème. Il est en cela contre-productif de lire dans les articles sur le harcèlement des phrases du type « ces enfants-bourreaux, pervers narcissique 2.0 ». Ne projetons pas sur les élèves harceleurs des catégories réservées à la psychopathologie adulte. Harcelés et harceleurs sont des enfants, des adolescents en souffrance !

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Quelle prise en charge pour les auteurs de harcèlement ?

Face aux lourdes conséquences entraînées par le harcèlement scolaire il s’agit de construire une réponse cohérente c’est-à-dire à la fois individuelle, familiale, pluridisciplinaire et qui s’inscrit dans le temps.
Selon mon expérience, les auteurs de harcèlement scolaire doivent être intégrés à la dynamique de prévention et de résolution du problème. Les mettre à l’écart de ce processus serait contre-productif, voire même dangereux. Si nous avons vu avec Emmanuelle Pinguet qu’une des solutions consistait à rendre l’enfant harcelé capable de se défendre, cela ne veut pas dire que l’adulte n’a pas son rôle à jouer. Au contraire, son rôle est grand et décisif.
Cette réponse au harcèlement doit s’inscrire à la fois sur le lieu de l’école et en dehors de l’école.

Hors de l’école : orientation vers les spécialistes, d’où la nécessité pour l’école de travailler en étroite collaboration avec les professionnels de santé de proximité.
En psychothérapie individuelle avec un enfant harceleur, il s’agira d’abord de gagner sa confiance sans se faire manipuler. Le projet sera de tenter de faire augmenter l’empathie, à amener les harceleurs dans une réflexion sur leurs actes, leurs motivations, leurs responsabilités. Surtout les amener à prendre conscience d’eux et de leurs affects. Une intervention qui marche bien par exemple est de dire : « à ton avis, ne peux-tu pas inventer d’autres conduites socialement plus acceptables pour exprimer tes ressentis et continuer à être toi-même ? »

Dans l’enceinte de l’école : travail conjoint entre le proviseur, l’équipe enseignante, et le pôle médico-social (infirmière scolaire, psychologue scolaire, médecin scolaire etc.)

Le chef d’établissement : il est garant de la loi et rappelle celle-ci aux parents et aux jeunes. Depuis 2014, le harcèlement à l’école est puni pénalement, et cela même si les faits n’ont pas été commis dans l’établissement. Les auteurs âgés de plus de 13 ans risquent en effet entre 6 et 18 mois de prison ainsi que 7.500 euros d’amende. Les parents des auteurs mineurs peuvent également être amenés à indemniser la famille d'une victime. Le rôle du proviseur est d’être à la fois au chevet des victimes comme des agresseurs.

Le psychologue scolaire : il peut, avec l’accord des parents, recevoir en entretien individuel ou collectif les adolescents. Soumis au secret professionnel, son rôle est d’aider les jeunes à mettre des mots sur leurs ressentis. L’école n’est par contre pas le lieu du travail psychothérapeutique. Le rôle du psychologue scolaire sera d'ailleurs d’orienter sur les professionnels compétents.

Mise en place d’ateliers dédiés au harcèlement scolaire : les intervenants sont multiples et chaque adulte a son rôle à jouer : du policier au médecin, du professeur principal au témoignage d’adultes ex-harcelés. Ces ateliers doivent être variés dans leurs contenus comme dans leurs formes. L’essentiel est qu’ils attirent la curiosité des élèves. Ici la classe débattra du contenu d’une chanson de rap, là la classe organisera en atelier d’improvisation théâtrale un conseil de discipline.
Les résultats de ces ateliers sont excellents sur la baisse du harcèlement scolaire. Il est d’ailleurs étonnant de constater à quel point les adolescents à qui on donne la parole, trouvent eux-mêmes facilement leurs solutions. Ils deviennent ainsi acteurs de la sortie du harcèlement alors que la méthode punitive a souvent pour effet de renforcer le harcèlement. J’insiste ici sur le fait qu’une soirée de sensibilisation au harcèlement scolaire peut tout à fait être proposée par les établissements via l’association des parents d’élèves. Une fois les parents rentrés chez eux, ils en parlent à leurs enfants et le débat est lancé. Le harcèlement scolaire cesse alors d’être tabou.
Le profil le plus réceptif à ces ateliers est celui des harceleurs-suiveurs. L'atelier est donc efficace car sans eux, les harceleurs-meneurs auront tendance à stopper leurs exactions, surtout s’ils craignent pour leur popularité.

L’importance de la prévention dans la prise en charge précoce : les enseignants d’écoles maternelles sont parfois dévalorisés par leurs collègues du secondaire (ne parlons même pas ici de ceux du supérieur…).
Cependant, les études prouvent toute l’efficacité d’un focus très précoce sur le harcèlement scolaire. La prévention par l’acquisition de compétences psychosociales dès la maternelle est certainement celle qui donne les meilleurs résultats sur le long terme. Vivre ensemble, c’est comprendre les émotions des autres, amenant la compréhension des siennes. C’est pouvoir interagir en s’affirmant dans le respect des autres, en acceptant les différences. C’est se rendre compte que lorsque l’on tape ça fait mal au corps, que lorsque l’on ne veut pas jouer avec le copain ça fait mal au cœur, que lorsque l’on répare son erreur tout le monde est moins triste.
La prévention ne garantit pas le zéro harcèlement, mais limite grandement le nombre d’enfants exposés. Nous pouvons faire un parallèle avec le problème écologique : tant que le harcèlement n’enflamme pas l’école avec plainte juridique de parents et tentatives de suicide sur le lieu de l’établissement, chacun se dit qu’il a le temps…

Harcèlement scolaire : que faire en tant que parents ?

Lorsque l’on est parent, c’est toujours une attaque narcissique intense lorsque l’institution scolaire souligne que l’enfant ne répond pas aux attentes demandées. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’être l’auteur de harcèlement scolaire, attitude grave et punie par la loi. « Qu’est-ce que j’ai loupé », « mon petit bébé est devenu un monstre pourtant il était si mignon » sont des phrases qui résonnent dans l’intimité du cabinet.
Lorsqu’ils apprennent que leur enfant est auteur de harcèlement scolaire, les parents sont souvent dans le déni car ils n’ont souvent rien vu venir : « non c’est pas vrai » ou alors « c’est l’autre enfant qui exagère » sont les réactions « à chaud » les plus fréquentes dans les bureaux des proviseurs. Beaucoup de parents ont également du mal à imaginer que leur enfant puisse être un "suiveur", c’est-à-dire qu’il puisse assister à des scènes choquantes sans s’y opposer.

Instaurer le dialogue
Passé le moment du choc, il est important pour les parents de ne pas continuer à être dans le déni.
Il s’agit de se montrer à l’écoute en signifiant à l’enfant que l’on souhaite comprendre. Par exemple, les deux parents peuvent emmener leur enfant diner dans un endroit neutre, sans ses frères et sœurs. L’adolescent doit pouvoir expliquer son geste et mettre des mots sur ce qui le pousse à agir de la sorte. Est-ce une souffrance qu’il n’arrive pas à exprimer autrement ? Que cherche t-il/elle à dire à ses parents par son comportement ?
Tout en rappelant les interdits de la loi - pas celle des parents mais de la société - il faut que l’adolescent sente l’amour de ses parents : « je n’aime pas ce que tu as fait mais je t’aime toi ». Un partage d’expérience peut alors être important : « tu sais moi aussi je voulais être populaire à ton âge. C’est pas drôle de se sentir à l’écart. Mais j’ai vite compris que la méchanceté devient vite épuisante et ne marche pas sur le long terme ».
Concernant la punition, il est important qu’elle existe. L’adolescent a besoin de limites pour se construire. Une juste distance doit ici être observée. Il y a une différence entre fliquer son enfant sur les réseaux sociaux en installant un tracker sur son téléphone et ne rien vouloir savoir de la réalité de sa vie. L’important est de ne pas répondre en miroir au sadisme de l’adolescent en le privant de tout mais de mettre en place une punition qui a dans sens. Une punition tournée vers une dynamique de réparation donc.

Se remettre en question
Cette démarche aboutie nécessairement à une remise en question du fonctionnement familial et des comportements de chacun. Pour aller à l’essentiel : symboliquement agresser ses camarades, c’est agresser ses parents.
L’expérience montre que la plupart du temps, les harceleurs vivent dans un climat de violence active ou passive à la maison. S’ils sont plutôt discrets au sein de la famille, bien souvent ces enfants vivent dans un climat conflictuel et, de ce fait, s’identifient à l’agressivité dégagée par l’un ou les parents. Le mécanisme d'identification au parent négatif se renforce au fur et à mesure des années, et l'enfant continue d'agir en fonction de ses pulsions. En réalité, de tels enfants vivent de réelles souffrances. Le problème est qu’ils ne parviennent pas à les exprimer autrement que par la domination des autres.

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Un cas de harcèlement scolaire
En conclusion je souhaite éclairer les réflexions de cet article par un fragment clinique. Alexia est une élève de troisième qui évolue au sein d’un collège privée à la réputation stricte. Avenante et jolie, elle est déjà femme dans sa façon de se mouvoir et de s’habiller. Elle passera la première séance à décrire à quel point elle est épanouie, que « tout le monde il est gentil et tout le monde il est beau » pourrions nous résumer. Discours d’ailleurs relayé par ses parents qui « ne seraient jamais venu me voir » si la CPE ne leur avait pas montré des captures d’écran du groupe Snapchat de la classe de leur fille. La lecture de ses messages est éloquente : Alexia et sa meilleure amie s’acharne sur une fille de la classe, Stéphanie, à base de « tu es tellement moche que tu devrais te suicider ». Des « jeux » sont aussi proposés : « si tu veux que Stéphanie meure, viens au collège avec un tee-shirt jaune ».
La mère d’Alexia tombe des nues et culpabilise. Le père, quand à lui, tente de relativiser : « c’est pas bien mais je défends ma fille aussi. Cette Stéphanie c’est une balance ». Il citera par la suite la phrase culte du film le bon, la brute et le truand : « le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un fusil chargé et ceux qui creusent ». Et d’enchainer : « moi je préfère que ma fille soit celle qui ne creuse pas ».
Je prends alors le parti d’instaurer un cadre de travail où j’alternerai les séances entre le face-à-face en individuel avec Alexia et un travail de guidance parental, sans Alexia donc. Là où Alexia et son père pensaient qu’une seule séance suffirait avec un mot signé de ma part, je prends le parti de m’appuyer sur le risque d’exclusion du collège prononcé à l’encontre d’Alexia comme nécessité d’un suivi psychothérapeutique.
Assez vite je me rendrai compte que l’une des difficultés majeures d’Alexia se situe au niveau d’une pauvreté imaginative. La règle du jeu est la suivante : je commence une histoire et quand je dis « à ton tour » tu continues l’histoire. Je précise bien à l’adolescente qu’elle dit ce qu’elle veut, ce qui lui passe par la tête. Cet exercice est très difficile pour Alexia. Souvent elle s’interrompt, dit qu’elle n’a pas d’idées. Elle a un besoin constant de ma réassurance (« est-ce que j’ai bon ? », « est-ce que c’est noté » etc.) L’élément le plus marquant est son incapacité à faire face au conflit et à supporter la frustration. Comme s’il était vital pour elle de détruire et ridiculiser le groupe parce que si son positionnement devenait bienveillant, elle se trouverait de facto obligée de subjectiver et non plus d’être dans le passage à l’acte.
Ainsi lorsque je fais dire au petit enfant de notre histoire « qu’il est en colère contre son père », Alexia a un mouvement d’annulation immédiat et fais dire au garçon : « qu’en fait c’était pour rire mais qu’il est pas vraiment fâché car son papa est gentil ».
Cette séance laisse en moi une sensation étrange : celle d’une adolescente qui, dans le réel, incite une ado à se suicider mais qui semble terrorisée par le paternel tout-puissant. Comme une toute petite fille.
Je décide la semaine suivante de recevoir seul le père. Très vite monsieur se saisit de cet espace pour me parler de lui. Il prend toute la place, dans une agressivité latente « c’est bien votre métier, vous facturez beaucoup d’argent pour beaucoup de blabla les fesses posées dans votre siège. Moi je me lève à 6H et je vais au charbon ». Monsieur est manageur dans une PME et dit qu’avec lui « ça file droit ». Dans un rire il me raconte une scène récente : « j’ai pris en photo une de mes employés qui s’est faite arrêter pour harcèlement moral. Elle dit que je la harcèle. J’ai donc envoyé la photo en anonyme à l’inspection du travail. Elle veut me faire un prudhomme mais moi j’ai la photo d’elle qui dépose ses enfants à l’école. Ça montre qu’elle est pas malade et qu’elle fraude la sécu ». Sans commentaire.
Je tente de recentrer la séance sur sa fille. L’entreprise est très difficile mais quelque chose bascule lorsque j’énonce que « ça se voit que vous aimez beaucoup votre fille ». Monsieur dira toute l’émotion qu’il a ressenti lorsqu’il a tenu son bébé dans ses bras : « je me suis alors dis que tous mes problèmes s’arrêteraient car quelqu’un m’aimera toute ma vie ». Nous nous trouvons là à la base du contrat pervers : Alexia doit être une femme physiquement mais psychiquement elle doit continuer à être le petit bébé mignon du père qui ne valorise que cela comme solution totale de réparation narcissique. Puis monsieur enchaîne sur son enfance : « j’étais petit en primaire, dans un petit village. Les autres me tapaient, m’insultaient. Ca m’a endurci et maintenant j’aime leur envoyer des emails avec ma signature électronique de manageur alors que je sais que eux sont éboueurs ou routiers ».
Du harcèlement au travail au harcèlement scolaire. Le lien mérite d’être souligné. En effet - et c’est ma position - à partir du moment où dans une équipe de travail la performance managériale pousse les salariés à s’écraser les uns les autres pour réussir, comment voulez vous que les adultes soient crédibles sur la prévention du harcèlement scolaire ? C’est du bon sens mais ce que l’on remarque c’est que les collèges avec un taux de harcèlement scolaire élevé sont souvent ceux qui ont l’ambiance de travail la plus dégradée pour les équipes éducatives .
Alexia affronte un défi complexe : intégrer la nouveauté du pubertaire sans que son père se sente menacé ou abandonné. La fragilité narcissique de cette adolescente est en écho avec la fragilité narcissique paternelle. Père qui est sommé, par le pubertaire de sa fille, de réexaminer un pan traumatique de son histoire (son harcèlement scolaire subi qu’il a transformé en harcèlement moral au travail).
La sortie de crise pour Alexia fut d’apprendre à se détacher d’un trop d’amour paternel. Un lien glaçant, car ayant trait à l’incestuel. Plus Alexia harcelait et plus le père jubilait. Plus elle s’habillait de façon sexualisée et plus le père lui portait d’attention. J’ai également tenté d’aider la mère à reprendre sa place. Nous sommes alors passé d’un « je sais bien que mon mari me trompe mais il est tout pour moi » à un « si j’apprends à me faire respecter ma fille n’aura pas besoin de le faire à ma place ». Alexia a donc pu commencer son chemin de séparation psychique d’avec son père. Elle a compris qu’elle pouvait être dans des liens autres que la destruction et le dénigrement.
Un an après la fin de sa thérapie Alexia m’a envoyé un mot de remerciement. Elle m’a dit qu’elle s’était battue pour que son école privée n’organise pas de bal de promo de fin d’année. Dans une réflexion très construite elle m’expliqua que ça avait fait débat dans le collège mais qu’elle pensait que cette course à la popularité allait à l’encontre du projet d’établissement qui revendique : « une attention au plus fragile ».
A Alexia de conclure : « quand c’est la bienveillance qui devient populaire ça change tout ». Merci à toi Alexia !
En cas de harcèlement à l’école, des dispositifs existent et peuvent aussi être mis en place par les établissements de l’étranger :

• Le Numéro vert « non au harcèlement » au 3020
• Le numéro Vert « net écoute » spécialisé dans le cyberharcèlement : 0800 200 000
• Le site officiel du ministère : www.nonauharcelement.education.gouv.fr
https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/outils-de-communication-de-la-campagne-2015/
https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/guide-sur-les-cyberviolences/
https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/campagne-2017-2018/
https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/parents-parlons-en/

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Etienne Duménil est un spécialiste de la question scolaire et des difficultés psychologiques des enfants et adolescents. Il a également vécu en expatriation et reçoit à son cabinet ou en vidéo-consultation sur la plateforme Eutelmed.
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